Avant de s’envoler pour la Belgique, le Président de la République Félix Antoine Tshisekedi a accordé une interview à la célèbre journaliste du Journal Le Soir, Collette Braeckman. L’échange a tourné autour de plusieurs sujets d’actualités et du parcours politique de Félix Tshisekedi. Le plus important dans cette interview est le fait que le Président s’est exprimé sur le dossier 15 millions de dollars qui défraye la chronique depuis quelques semaines à Kinshasa comme partout ailleurs. De la responsabilité de l’Inspecteur général des Finances, jusqu’à la transmission du dossier à la justice, Félix Tshisekedi s’est enfin exprimé ! Pour lui, il s’agit d’une « histoire » qui est symptomatique du changement intervenu en République Démocratique du Congo. Dossier qui a été détectée par l’ANR, l’Agence nationale de renseignement, et qui se trouve actuellement sur la table du Procureur, sans citer de nom. Tshisekedi assure sa confiance à l’IGF, et pense que le dossier qui est entre les mains de la Justice n’a plus rien à voir avec lui, et qu’il n’a rien à dire quant à ce. Ci-dessous, l’intégralité de l’interview :
Le Soir : Accompagnant votre père, opposant au président Mobutu, vous avez vécu longtemps en Belgique. Quel fut son rôle dans votre apprentissage politique ?
F. Tshisekedi : « Ce n’est pas en Belgique que j’ai connu les débuts de son combat : avec lui nous avons été déportés au village, on appelait cela relégation. C’était en 1983-84, un milieu où il n’y avait ni école ni soin de santé. La naissance du parti UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social) je l’ai vécue dans ma chair, dans ma vie même…En même temps que ma famille, ma mère, ma sœur, j’ai été témoin des souffrances du peuple congolais et, âgé de 19 ans à l’époque, j’en ai été victime moi-même. Même si je n’ai jamais revendiqué cela ; je suis l’un des pionniers de ce combat…… A cette époque nos parents ont décidé d’évacuer les enfants vers la Belgique, contraints et forcés afin que notre père puisse continuer sa lutte…Nous n’étions pas préparés à l’exil, nous n’avions même pas un pied à terre, nous vivions comme tous les réfugiés… »
Que signifie pour vous le slogan de votre père « le peuple d’abord » ?
Pour moi, cela signifie d’abord prendre en considération la volonté de ce peuple, en comprenant ses souffrances et en essayant de les résoudre. Il n’est pas normal que le Congo, avec ses immenses potentialités, soit l’un des peuples les plus pauvres du monde ! Lorsqu’on a mené un combat comme celui d’Etienne Tshisekedi qui a résisté grâce au soutien de la population on ne peut que penser que les désirs de ce peuple passent avant les nôtres.
Vous avez voyagé à l’intérieur du pays. Qu’est-ce qui vous a le plus frappé ?
Avant tout, c’est la misère. L’écart complet entre les Congolais de la province et ceux de Kinshasa. Or la plus grande partie des richesses, de la force du Congo vient de l’intérieur ou les populations sont restées dans un autre siècle alors que le Congo avançait. Ce qui m’a le plus bouleversé, c’est l’insécurité à l’Est et je me suis juré de tout faire pour ramener la stabilité, la sécurité et la paix. C’est invivable : les gens sont pris en otages, ils ne peuvent se rendre aux champs alors qu’ils vivent des produits de ces champs. On ne peut accepter que des pans entiers de la population vive dans de telles conditions. Je dois tout faire pour changer cela. J’ai aussi vu la souffrance des femmes, elle est inadmissible…
Est-ce en tenant compte de tout cela que vous avez lancé un train de mesures sociales ?
En fait, mon programme, ma vision, c’est de mettre l’Homme congolais au centre de mes préoccupations. C’est de son épanouissement, de son mieux être que viendra le développement de la RDC. Le bien être commence par la liberté ; les individus doivent être libres, de s’exprimer, d’entreprendre. Il faut leur garantir un accès à l’éducation.
Le droit à l’éducation est inscrit dans la Constitution et j’ai voulu marquer le coup : décréter la gratuité de l’enseignement fondamental, ce qui représente un budget de 37 millions de dollars par mois. Il est possible de dégager ces fonds, et des partenaires internationaux comme la BAD (Banque africaine de développement) ont déjà accepté de nous suivre, je les en remercie…Notre ambition est d’étendre cet effort à l’enseignement secondaire, puis supérieur…Nous travaillons aussi sur l’accès aux soins de santé, afin que les Congolais, épanouis, puissent affronter les défis du développement…Mais nous devons rester modestes, les pieds sur terre et ne pouvons attaquer sur tous les fronts à la fois. D’ici 2023 le social sera prioritaire…Les mesures concernant l’enseignement ont déjà suscité des manifestations de joie, de soulagement et nous allons continuer. Il fallait relever ce défi et pour le moment ça tient, il fallait oser…
Avec un budget de 5 milliards de dollars, allez-vous trouver les moyens de cette politique ?
En numérisant l’économie, nous pensons pouvoir rationaliser les dépenses et ramener plus de recettes dans le trésor public. Actuellement 80% de nos recettes échappent au Trésor ! Donc en luttant davantage contre la corruption, nous allons combattre ce coulage et réussir à mieux redistribuer la richesse sur l’ensemble du territoire…
Pouvez-vous parler de l’affaire dite des 15 millions de dollars disparus, ce qui a été détecté par l’Inspection générale des Finances ?
Cette « histoire » est symptomatique du changement intervenu : elle a été détectée par l’ANR, l’Agence nationale de renseignement. J’ai réussi à humaniser l’ANR, transformée en un service qui doit humaniser la société. J’ai tenu à recevoir moi-même l’inspecteur général des Finances M. Batubenga, car mon souci était de l’entendre à propos des menaces qu’il aurait rencontrées. Il m’a dit qu’il n en avait pas connu et qu’il avait transmis le dossier au Procureur, sans citer de nom. Je l’ai assuré de tout mon soutien et de ma confiance. Le dossier est désormais entre les mains de la Justice et n’a plus rien à voir avec moi. Je ne peux donc plus me prononcer sur ce sujet…
Je me bats pour un Etat de droit, pour l’indépendance de la justice et donc je ne mettrai pas mon nez dans ces histoires. Je ne veux pas être un dictateur et je laisse les institutions judiciaires faire leur travail en toute indépendance…
Garant des institutions je me suis assuré du fait que l’inspecteur pouvait faire son travail dans de bonnes conditions. De la même façon, le dossier du Docteur Ilunga (l’ex ministre de la Santé) se trouve entre les mains de la Justice… Je n’ai rien à voir là dedans. L’Etat de droit est en train de se mettre en place et je ne veux pas me mêler de ce qui n’est pas de mon ressort…
Quel est le climat des relations avec votre prédécesseur, l’ex président Kabila ?
Elles sont plutôt bonnes. Respect, considération mutuelle… Il n’a pas de plainte à avoir à ce sujet… Mais nous sortons d’un système qui est resté longtemps au pouvoir et certains collaborateurs ont encore quelques réflexes du passé, on