Le Président Recep Tayyip Erdogan a terminé le 23 février 2022 son dernier périple africain qui devait le conduire successivement en Rdc, au Sénégal et en Guinée Bissau. Des raisons endogènes (décès de son chef de sécurité) et exogènes (guerre de la Russie en Ukraine) l'ont obligé de rentrer précipitamment dans son pays après l'étape du Sénégal. A Kinshasa, où il est arrivé le dimanche 20 février pour repartir le lundi 21 février, l'événement marquant a été la signature des sept documents tenant lieu les uns d'accords, les autres de protocoles d'accord. Leur entrée en application requiert la ratification par le parlement congolais. Cette condition ne posera aucun problème...
Le problème est cependant posé par ceux qui, en RDC, font la communication de discrimination en pratiquant ce qu'il convient de qualifier de " chinophobie ". Cela s'est observé à l'annonce des domaines dans lesquels la Turquie veut investir. Comme dressés à cet effet, il est suggestionnée la " substitution " des investissements chinois par des investissements turcs. Les commentaires vont bon train dans ce sens.
Seulement voilà : les communicateurs qui jouent cette carte maladroite ne sont pas sans savoir que la coopération entre la Turquie et la Chine est plus importante que celle entre la Turquie et l'Union européenne.
Déjà, celle-ci fait traîner depuis des décennies l'adhésion de la Turquie, pays de culture à la fois judéo-chrétienne et musulmane pendant qu'elle a déjà consacré l'adhésion des pays Balkans ayant cette double culture. Cas du Kosovo.
Le site www.touteleurope.eu note dans sa livraison du 6 avril 2021 que " La Turquie est candidate depuis 1987 pour adhérer à l’Union européenne. Un statut officiellement reconnu par les Européens en 1999. Depuis, la perspective de son entrée dans l’Union européenne a suscité de vifs débats liés à la taille et à la position géographique du pays, au poids de la religion musulmane dans sa société ou encore à sa position sur la question chypriote ”. Elle relève qu'avec “ le durcissement du régime de Recep Tayyip Erdoğan ces dernières années, la perspective d’une adhésion turque à l’UE s’est éloignée”...
Raisons d'un rapprochement
Ceux qui se livrent facilement à des comparaisons ont tout intérêt à le constater : en 2020, rien qu'avec la Chine, la Turquie a échangé pour USD 24 milliards ! Or, avec tous ses 28 pays membres, l'Union européenne a échangé avec la Chine en 2021 pour 69, 2 milliards USD. Du reste, la perspective d'une augmentation évaluée à 44 % a été même envisagée dans le cadre des relations sinon-turques.
Bien plus, le chef de l'Etat turc avait annoncé le 13 juin 2020 à l'agence Xhinua : " Nous avons récemment conclu un accord crucial avec la Chine, qui est l'un de nos plus importants et de nos plus grands partenaires commerciaux ".
Réagissant à la décision chinoise d'utiliser le yuan pour les transactions financières et commerciales, la banque centrale turque a été d'avis que " Pour les entreprises turques, la décision de la Chine est une bouée de sauvetage. Il est moins cher et plus facile de traiter en yuans. C'est donc une excellente opportunité de développer les activités commerciales bilatérales ".
Au plan purement diplomatique impliquant la sécurité et l'économie, il est intéressant de lire l'article de Didier Chaudet publié le 28 novembre 2020 dans Asialyst sous le titre " Vers un rapprochement entre la Chine et la Turquie ? ". L'auteur retient que " Si un rapprochement entre la Chine et la Turquie a longtemps semblé impossible, les deux États auraient aujourd’hui de nombreux intérêts à coopérer. Parmi eux, les 'Nouvelles routes de la soie' chinoises, les besoins d’investissements et de financements de la Turquie renforcés par la crise du coronavirus. Pour Ankara, ce rapprochement semble désormais d’autant plus important que la défiance du président Erdogan face à l’Occident ne cesse de s’accroître ".
Sous l'intertitre " raisons d’un rapprochement ", il poursuit : " De 1971 aux années 1990, les relations entre la Chine et la Turquie étaient relativement limitées. Elles se sont d’abord renforcées grâce au commerce : après la guerre froide, les Chinois fournissaient à la Turquie un armement que l’Occident limitait au nom de la question kurde. C’est ainsi grâce à Pékin que les Turcs ont pu développer leur armement balistique et leur artillerie. Une coopération militaire plus poussée entre les deux pays n’a cependant pas été possible. Pour cause, des pays occidentaux, au sein de l’OTAN, se sont opposés à un projet turc qui prévoyait de construire son système de défense anti-missiles avec une compagnie chinoise. Cette dernière offrait le meilleur prix, les meilleurs délais, et une réelle coopération technologique ".
Chaudet souligne que " Pékin a par ailleurs déjà montré sa capacité à soutenir le pouvoir turc face à ses difficultés économiques. Par exemple, en 2018, la banque d’État ICBC (Industrial and Commercial Bank of China) a fait un prêt de 3,6 milliards de dollars à la Turquie pour soutenir ses projets énergétiques et de transport après que la lire a perdu 40 % de sa valeur. La Chine a montré son désir de soutenir le développement économique turc sans que le président Erdogan ait à se plier aux pressions occidentales. Cela en fait un partenaire précieux pour le pouvoir en place ".
La Chine et la Turquie ne sont pas concurrents
A la lumière de ce qui précède, on ne devrait pas mettre en concurrence les investissements chinois avec les investissements turcs en République Démocratique du Congo en ce qu'ils ont le même mérite de s'appliquer le principe gagnant gagnant. Il s'agit d'investissements innovants non fondés sur des considérations colonialistes ou néocolonialistes restées ténues. Pour preuve, la révision à la baisse, quasiment de moitié, de l'enveloppe destinée à l'Afrique décidée lors du dernier sommet Union européenne-Union africaine le 18 février 2022.
Alors que fin décembre 2021, l'Union européenne a annoncé une contribution de 300 milliards d'euros dans le cadre du “ Projet Global Gateway ”, elle l'a réduite à 150 milliards mi-février sans en exprimer aux Africains la motivation.
Ce sujet fera l'objet de la prochaine livraison. En attendant, le fait indéniable à retenir est que la Chine et la Turquie ne sont en concurrence sur aucun terrain en Afrique, ni ailleurs dans le monde.