Les coups d'État sont une pratique récurrente en Afrique. Bien que leur fréquence ait diminué, ils sont cependant loin d'avoir disparu, en témoigne la destitution suivie de la prise en otage par les putschistes du Professeur Alpha Condé, jusqu'à hier, Président de la Guinée Conakry. On peut à juste titre s'interroger sur les causes et les conséquences de cette pratique, pour le moins condamnable.
On se plaint souvent de la mainmise occidentale et des multinationales, cela est vrai dans une certaine mesure. Mais il faut reconnaître que l'absence de volonté politique ferme d'intégration et de développement, la mauvaise utilisation des ressources humaines, le manque de travail et d'épargne qui engendre la corruption, etc. sont autant d'ingrédients qui ouvrent la brèche à la manipulation de quelques élites par les puissances soucieuses de fragiliser et de paupériser sempiternellement l'Afrique.
Or, nous savons pertinemment que l'une des raisons qui empêchent le décollage du continent africain sur l'échiquier mondial et qui décourage la création des cadres institutionnels de coopération économique, de prise de responsabilité dans la recherche concertée de la paix et de la sécurité régionale ou sous-régionale ce sont les coups d'État. A travers une certaine naïveté politique caractérisée par l'incapacité de bâtir un véritable État de droit, d'organiser un espace démocratique et de mobiliser les forces de la nation dans un projet républicain commun, des puissances étrangères s'infiltrent pour créer la discorde entre les citoyens d'un État afin qu'ils s'entretuent. Ce qui leur permet de venir toujours s'immiscer dans les affaires internes des pays africains sous prétexte d'y apporter la paix.
En tout cela, il est bizarre de constater que l'Union africaine et les autres regroupements régionaux manquent de décisions de contrainte et de sanctions vis-à-vis des contrevenants aux dispositions statutaires, ceux qui transgressent les constitutions par des coups d'État itératifs. À quoi servirait cette confédération d'États si l'UA se révèle en fin de compte incapable de résoudre les problèmes internes des pays africains en vie d'y établir la paix?
Depuis 1960, année d'accession à l'indépendance de beaucoup de pays africains jusqu'à nos jours, la prise de pouvoir de façon violente et illégale s'est érigée en règle d'or. L'inventaire fait état de plus de 270 coups d'État et/ou tentatives de coups d'État. Ce qui donne une moyenne d'au moins 9 coups d'État ou tentatives de coups d'État par an.
Après les dictatures sardoniques et cyniques au lendemain des indépendances, les dirigeants africains ont instauré une autre forme de dictature qui passe par des coups d'État constitutionnels au grand dam de la pauvre population. Le mal africain dénommé coups d'État se décline de deux manières: les coups d'État constitutionnels (soft power) et les coups d'État violents par les armes (hard power). La deuxième catégorie étant souvent le résultat de la première.
Le continent africain voué à une éternelle tutelle des Nations-Unies et des puissances occidentales
En effet, la soif de demeurer indéfiniment au pouvoir conduit la majorité de dirigeants africains à des pratiques assez inacceptables. Parmi ces pratiques, retenons le «Coup d'État constitutionnel» qui est une violation ou un changement forcé, de manière cavalière et préméditée, des prévisions de la constitution permettant de tirer des avantages indus. Ce cas est devenu presqu'ordinaire en Afrique. Les gouvernants ne veulent pas de l'alternance politique pacifique et civilisée. Ils désirent demeurer «éternellement» au pouvoir à tout prix, confondant la République à une ferme privée. Cet amour outrancier du pouvoir constitue l'une des principales causes des discordes intestines sur le continent africain. C'est également ce refus de l'alternance qui favorise très souvent, nonobstant les instigations extérieures, les coups de force de force pour l'usurpation du pouvoir. Et cela rend la paix incertaine.
Il est fréquent qu'à la fin de leur mandat présidentiel, les chefs d'État africains modifient à leur profit quelques dispositions constitutionnelles en vue de s'ouvrir encore les brèches pour se représenter à l'échéance suivante (phénomène 3ème mandat ou mandat illimité). Et puisqu'ils savent déjà que leur situation les prédispose à la victoire, même frauduleuse pour la plupart de fois, ils prennent tous les arrangements possibles à remanier la loi suprême avec la bénédiction des parlementaires qui forment leurs clubs d'amis en lieu et place d'être des vrais porte-paroles des citoyens.
En tout cas, à un certain moment, les dirigeants africains doivent prendre conscience de leur faillibilité humaine, de la multiplicité de talents parmi leurs concitoyens qui sont eux aussi capables de gérer, et même mieux, la chose publique. On constate souvent une grande contradiction entre le désir individuel du pouvoir et le bien social. Cela entraîne inévitablement la radicalisation de la guerre civile, les mutineries successives et les coups d'État sanglants.
Même des élections en Afrique sont des facteurs des nouvelles crises. Elles sont, pour la plupart, émaillées de violence et des confrontations entre les protagonistes politiques, si bien qu'on peut affirmer qu'elles causent beaucoup de maux qu'elles n'en résolvent. Ces crises sont de nature à remettre en cause le bien-fondé de ces élections trafiquées d'avance, à cause de la mauvaise gouvernance.
La période postélectorale est ainsi un moment des victoires mortelles dans certains pays africains. Les appétits insatiables du pouvoir font que les gouvernants organisent des élections truquées par l'achat de conscience non seulement des électeurs en majorité analphabètes et paupérisés à dessein, mais aussi et surtout de ceux qui sont censés coordonner les opérations de vote.
Face à la crise de gouvernance, les résultats des scrutins sont contestés à travers les rébellions ou les coups d'État. Cela voue le continent africain à une éternelle tutelle des Nations-Unies et des puissances occidentales qui se portent garants pour la résolution des conflits. La «recolonisation» et la stagnation du continent berceau de l'humanité est, dans une certaine mesure, l'œuvre de ses dirigeants qui veulent se cramponner au pouvoir sans penser à l'intérêt collectif et au développement de leurs États.
Analyse du Professeur Ludovic Nico Mumbunze, Directeur des Recherches Stratégiques au Collège des Hautes Études de Stratégie et de Défense (CHESD), extrait de son livre L'humanisme politique chez Kant, publié en 2014.